Îles et pirates_compte rendu de la séance 1

Les îles corsaires en Méditerranée médiévale. Compte-rendu de la première séance de 2024-25

La première séance réunissait Laure-Hélène Gouffran (CR – TELEMMe) et Vannina Marchi-van Cauwelaert (professeure à l’université de Corse). À travers une étude de la corso-piraterie en Méditerranée, puis une étude approfondie du cas de la Corse, les chercheuses exploraient le lien entre insularité et économie de la prédation.

Laure-Hélène Gouffran explique les enjeux de la corso-piraterie : un ensemble d’activité de prédation au sein duquel on ne distingue pas, à l’époque médiévale, la course de la piraterie. Agir « more piraticum », ou – comme elle le trouve dans une occurrence unique « piraticalmentz » – est plus un mode d’action au sein d’un ensemble d’activités militaires et marchandes, avec une réelle fluidité de pratiques.
Ainsi, la corso-piraterie n’est pas l’envers de la souveraineté, produite par un affaiblissement du contrôle des autorités publiques, mais plus un ensemble de pratiques encastrées dans l’économie quotidienne de la Méditerranée. À ce titre, L-H Gouffran indique l’étendue des thèmes que permet d’explorer ce sujet, très lié à l’économie urbaine : de l’approvisionnement des villes à la formation des noblesses méditerranéennes, en passant par les rapports entre territoires islamiques et chrétiens. Après avoir détaillé l’historiographie de cette question, qui fait une large place à la Couronne d’Aragon et à Gênes, elle montre l’importance de circuler entre les centres d’archives pour identifier des trajectoires (de navires comme d’individus).
Les îles jouent ici un rôle de matrice dans les réseaux corsaires, de différentes manières. On trouve ainsi plusieurs cas d’aventuriers qui parviennent à se faire octroyer des îles en fief, au sein d’une activité marchande et corsaire. Les petites îles sont aussi le lieu d’une économie qui intègre les butins et les rançons.
Elle termine en explorant le cas de Bonifacio, documenté entre autres depuis Gênes ou depuis la Pénitencerie apostolique. On y trouve bien cette économie quotidienne qui intègre des pratiques de piraterie. Par exemple, avec le système des « prêts corsaires », permettant de financer des expéditions et qui doivent être remboursées au premier butin.
Elle conclue en ajoutant qu’à ce titre, d’autres espaces fonctionnent selon ce modèle insulaire. En particulier des villes très tournées vers la mer : Gênes par certains aspects, ou surtout Monaco, qu’elle compare à une « île corsaire en Provence ».

Vannina Marchi-van Cauwelaert revient ensuite sur l’observatoire corse pour, après avoir étudié les îles comme base, s’intéresser désormais aux pratiques des îliens eux-mêmes. Elle montre que la Corse, que l’historiographie a pu présenter comme un territoire surtout agropastoral, connait pourtant une forte participation à l’économie de prédation maritime. Étudier l’articulation entre ces deux types d’activité permet aussi de contourner l’opposition entre un intérieur dominé par les Corso-Aragonais et un littoral dominé par les Génois.
Dans l’économie méditerranéenne de la fin du Moyen Âge, la Corse tend à être exclue des lignes du grand commerce, qui transitent plus volontiers par les ports continentaux, la Sicile, ou Majorque. La prédation serait alors peut-être pour les seigneurs corses une façon de s’insérer dans ces flux de marchandises et d’obtenir des marchandises de luxe – qui sinon n’arrivent pas –, alors que les documents notariés suggèrent majoritairement des échanges de textile ou de céramique, surtout dans le sud de l’île.
L’historiographie a beaucoup mis l’accent sur le rôle des pilleurs d’épaves. Or à travers plusieurs exemples, elle souligne au contraire la capacité des Corses à attaquer en mer (on attaque de toutes façons peu en pleine mer, mais plus dans les entrées de port, dans les passes, aux caps, etc…) Son troisième cas est celui d’une attaque terrestre : celui du naufrage de Jacques Cœur – avant sa fortune –, au large de Calvi en 1432, alors qu’il revient d’Orient, donnant lieu à des rançons allant jusqu’à 800 ducats d’or, ce qui représente alors une fortune.
En termes de chronologie, il faut aussi décaler vers l’amont l’activité piratique des seigneurs corses. Dans l’historiographie, il faut attendre la fin du XIVe siècle pour faire d’Arrigo della Rocca le premier corsaire attesté. En pratique, dès le XIIIe siècle, elle suppose des pratiques similaires que les sources ne révèlent qu’en creux, par exemple avec le terme d’ « écumeurs » qui suggère aussi des activités maritimes.